# PCN-TV MOSCOU : INTERVIEW DE LUC MICHEL PAR FABRICE BEAUR.

 
A bâtons rompus sur : PCN, idéologie, praxis, perspectives – Communautarisme européen – Résistance libyenne – Comités ELAC & ALAC – MEDD-MCR – Russie – Belarus – Transdniestrie – Abkhazie – Grande-Europe – Eurasie – OTAN – « Révolutions de couleur » – « printemps arabe» …
En marge d’une Conférence régionale du MEDD-MCR et d’ELAC-RUSSIA organisée à Moscou le 14 octobre 2011,
Fabrice BEAUR interviewe Luc MICHEL pour PCN- TV Moscou.
Verbatim de l’entretien vidéo.
 
1. Fabrice BEAUR : Tu t’es exprimé sur l’affaire libyenne. Tu as pris une part prépondérante  dans la défense de la Libye et critiqué la position russe officielle. Tu as écris que « la Russie avait tiré contre son camp » et qu’elle avait aussi « perdu un grand allié géopolitique ».
Tu peux nous en dire plus ?
 
Luc MICHEL : La Russie a perdu un grand allié géopolitique en Libye. Tout à fait ! La politique étrangère russe dans l’affaire libyenne est une politique incohérente et qui va à l’encontre de tous les intérêts nationaux de la Russie. C’était l’avis du dernier ambassadeur de Russie à Tripoli lorsqu’il est rentré en Russie après avoir quitté la Libye à la fin du mois de mars. Venons tout d’abord à la position de la Libye en faveur de la Russie. La Jamahiriya de Kadhafi était le bastion de la Russie en Méditerranée. Avec la Syrie. Mais la Syrie est tout à fait dans une position différente.
Kadhafi était extrêmement favorable aux intérêts russes. A la suite de son voyage en Russie en 2009, c’était encore avec Vladimir POUTINE qu’il avait négocié un certain nombre de traités. Les Russes auraient dû disposer d’une base navale à Benghazi. Ajoutons que la Russie était devenue le premier fournisseur d’armes de la Libye et que les Russes étaient privilégiés pour de nombreux contrats pétroliers.
Le problème de la politique générale de la Russie, c’est que le coup d’état qui a déstabilisé la Libye et ensuite l’agression occidentale prennent place dans une série d’événements qui visent en fait au contrôle par les États-Unis de l’Eurasie. C’est le programme défini par Zbigniew Brzezinski dans « LE GRAND ECHIQUIER ». Et je rappellerai, parce que c’est quelque chose qu’on ignore souvent, c’est qu’au moment de l’élection présidentielle américaine le principal conseiller de OBAMA en politique étrangère était précisément Brzezinski. Aller soutenir le renversement du régime libyen, se comporter avec une extrême timidité face à l’agression contre le régime syrien, c’est bien entendu préparer le terrain à la future agression contre la Russie elle-même, qui est le but ultime des Américains.
 
2. Fabrice BEAUR : La vague d’agression contre le monde arabe, et singulièrement contre la Libye et la Syrie est de toute évidence une opération de déstabilisation occidentale similaire aux « révolutions de couleurs » opérées par les USA en Europe de l’Est depuis 2000 et la chute du Président Slobodan Milosevic.
Que penses-tu de tout ceci ?
 
Luc MICHEL : J’ai été le premier, au début du mois de février, à attirer l’attention justement sur les similarités entre les « révolutions de couleur » et le soi-disant « printemps arabe ». Ce qui m’interpellait dès le début, c’est que non seulement le scénario est le même que dans les « révolutions de couleur » en Europe de l’Est, mais aussi que les acteurs sont les mêmes. Vous devez savoir que ce qu’on appelle les « révolutions de couleur », c’est une série de coups d’état organisés généralement à l’occasion d’élections, mais aussi de troubles sociaux. Derrière ces opérations, il y a un ensemble d’organismes qui sont de soi-disant « O.N.G. », mais qui en fait sont des organismes d’État américain camouflés, qui sous couvert de « promotion de la démocratie » assurent le financement des oppositions dans les pays que les Américains veulent déstabiliser.
Derrière tout ce système, il y a un groupe international qui s’appelle OTPOR (en serbe : « résistance »). C’est le premier groupe qui a organisé une « révolution de couleur » avec le financement des Américains. Ce sont eux qui ont organisé le coup d’état contre Milosevic en octobre 2000. Vous devez savoir que le président Milosevic se présentait contre KOSTUNICA, candidat de l’opposition et de l’Occident, que certains imbéciles ont appelé le « de Gaulle serbe » (sic). En fait, MILOSEVIC avait gagné les élections. Les gens d’OTPOR se sont répandus dans la rue, ils ont proclamé la victoire de KOSTUNICA, qui était à la fois le candidat de l’Occident mais aussi le candidat des ultranationalistes serbes. Et ensuite s’est suivi une série de journées d’émeutes. La soi-disant « révolution pacifique », puisque OTPOR prétend organiser des révolutions pacifiques s’est immédiatement transformée en émeute, en attaques avec l’occupation du Parlement serbe, le pillage du siège de nos camarades du Parti Socialiste de Serbie, le SPS.
OTPOR ensuite a été transformé par les Américains, avec d’énormes moyens de financement, en un mouvement international. Qui a organisé à Belgrade, en Serbie, ce qu’on appelle l’école internationale CANVAS. Une école où on apprend à des militants la déstabilisation des régimes. Les cours sont donnés depuis 2009 en arabe et la plupart des activités sur les réseaux sociaux Internet, mais aussi dans les émeutes des villes, lors des soi-disant « révolutions » en Égypte et en Tunisie, venaient de ce groupe. Le groupe OTPOR a également formé et patronné d’autres groupes similaires, que l’on a vus en Algérie, au Yémen, au Bahreïn et aussi dans les tout premiers jours à Benghazi en Libye.
Comment le sait-on ? Il faut être aveugle pour ne pas voir ! Parce que la marque de fabrique d’OTPOR, c’est son logo, un poing stylisé qui rappelle les emblèmes de certaines organisations fascistes dans les années 30. Le drapeau d’OTPOR, c’est un poing blanc sur fond noir dans un cercle blanc. C’est exactement le design du drapeau des SS, qui avaient deux S runiques exactement dans le même cercle noir. Nos camarades yougoslaves en 2000 appelaient les gens d’OTPOR les « Madleen Jungen » par référence à Madleen ALBRIGHT qui était la secrétaire d’État américaine à l’époque et qui les finançaient. La caractéristique de tous les groupes liés à OTPOR est ce logo commun. Pourquoi le font-ils ? D’une part entre eux pour montrer justement leur solidarité. Mais aussi parce qu’ils doivent justifier à leur maître américain les sommes dépensées.
 
3. Fabrice BEAUR : Tu as longuement analysé les liens entre ces « révolutions de couleurs » et le soi-disant « printemps arabe », sujet dont tu es le grand spécialiste. Début février 2011, tu as été le seul à discerner l’opération en cours et annoncer l’agression contre la Libye dix jours avant qu’elle ne commence.
Peux-tu nous expliquer les liens entre tous ces évènements en Europe, puis dans le monde arabe ?
 
Luc MICHEL : Je viens de vous expliquer en fait déjà le modus operandi. Lorsque ont commencé ces événements dans le monde arabe, c’est-à-dire à la fin de l’année 2010, j’ai immédiatement été frappé, avant même que n’apparaissent les emblèmes d’OTPOR par la similitude du processus. C’est-à-dire que ce qui s’est passé en Serbie en 2000, ensuite au Belarus et en Russie (où ils ont échoué), en Géorgie, en Ukraine (où ils ont réussi), au Kirghizstan (où ils ont réussi), ensuite de nouveau au Belarus. J’ai discerné ce processus, ce modus operandi dans la réalisation.
Mais derrière cette réalisation, il y a un plan, un scénario. Ce scénario quel est-il ? C’est le projet américain du « Grand Moyen-Orient ». De quoi s’agit-il ? Il s’agit de créer une vaste zone géopolitique sous contrôle américain, avec un maximum de petits états, de micros états, si possible confessionnels ou ethniques. Si vous regardez ce qui se passe en Irak, les Américains favorisent l’éclatement de l’Irak. En Syrie, il ne fait pas de doute que c’est la même visée. En Libye, on va opposer la Cyrénaïque au reste de la Libye.
Le système de contrôle, c’est donc la balkanisation. Celui qui en politique a inventé la balkanisation, c’est le cardinal de Richelieu, dans l’Allemagne du XVIIe siècle. Lorsque la France, la grande puissance à l’époque du Continent, était intervenue dans les affaires allemandes. Ne pouvant ni dominer ni contrôler l’Allemagne militairement, les Français, pour rester justement puissance dominante, en ont organisé la balkanisation. C’est la Guerre de 30 ans. La Guerre de 30 ans se termine par le Traité de Westphalie et l’Allemagne est divisée en 700 micros états. Je fais cette longue digression parce que vous devez savoir que le modèle politique de Kissinger – et Kissinger est lui-même le mentor de Brzezinski qui était son collaborateur -, c’est précisément le cardinal de Richelieu.
Ces gens appartiennent à l’Ecole américaine de Géopolitique et ils appartiennent aussi à une autre école, également idéologique qu’on appelle les néo-Machiavéliens américains. Pour que vous compreniez la façon dont ces gens conçoivent la politique, nous sommes, nous, les néo-Machiavéliens européens. Leur vision de la politique repose sur la géopolitique, sur le fondement de la puissance des états. Il n’y a pas là-dedans de moralité et de sentiment mais des rapports de puissance.
Pour comprendre comment on est arrivé à ces pseudo « révolutions », je vous ai parlé des acteurs, je vous ai parlé du processus. Mais pour réaliser tout cela, il y avait avant tout un scénario. Ce scénario, en fait personne ne s’est rendu compte qu’il avait non seulement été écrit mais publié sous forme de livre au milieu de cette décennie, en 2004-2005. Les Américains ont lancé, sous contrôle de la CIA, une grande série d’études prospectives. Qu’est-ce que sont ces études prospectives ? C’est ce que le fondateur de cette discipline, Bertrand de Jouvenel, le grand politologue français, appelait les « futuribles ». Comment ça marche ? Et bien on étudie des spécialistes, on les fait dialoguer, on fait une série de symposiums etc. Et à partir de ça, on tire des scénarios. Parmi les scénarios qui ont été esquissés par les Américains, il y a la balkanisation du Proche-Orient. Il y a un scénario « du pire » qui correspond à un succès gigantesque de nos idées, c’est-à-dire l’affranchissement de l’Eurasie devenant une superpuissance prenant le rang de première puissance mondiale sur les États-Unis. Il y a un scénario islamiste, qu’ils appellent le « nouveau califat ».
Les Américains ont tiré les conclusions de ces scénarios. Non pas qu’ils attendent qu’ils se réalisent, mais ils en tirent des leçons pour l’action. Le but de ces « futuribles », c’est de dire comment il faut réagir. Et c’est très simple ! Il faudra d’un côté empêcher l’émergence de l’Eurasie et de l’autre côté empêcher l’émergence d’états islamistes radicaux. La solution est très simple, c’est le « Grand Moyen-Orient ». C’est-à-dire que d’un côté on a donc une série de micros états à créer. On déstabilise durablement la zone par la politique de la balkanisation, cette déstabilisation touche l’Europe elle-même. Elle la touche de façon directe parce que sur le flanc sud de l’Europe, dans le Caucase et dans les Balkans, une agitation islamisant va se développer qui va nuire à la Russie mais aussi à l’Union Européenne. Et deuxièmement il va avoir des troubles dans l’approvisionnement du pétrole. C’est de nouveau les sources d’approvisionnement de l’Europe qui sont frappées. Et la troisième raison de ce qui va se passer, c’est que via l’OTAN on implique l’Union Européenne dans l’agression des pays arabes. C’est-à-dire que les pantins, les marionnettes « européennes », avec des guillemets, de l’OTAN font la politique qui va nuire aux intérêts fondamentaux de la Grande Europe. Et notamment ils agressent ceux qui devraient être nos meilleurs alliés.
Dans le cas de la Libye, c’est particulièrement tragique, puisqu’on oublie que Mouammar KADHAFI était un grand Européen. Il a soutenu l’Union Européenne, il a soutenu son émergence comme puissance, il a soutenu l’Euro en 2008. Ce sont les Fonds souverains libyens qui ont sauvé l’Euro en France, en Belgique, en Italie et en Suisse.
Le scénario de ce que je vous dis ici à été publié dans un livre qu’on appelle le « Rapport de la CIA ». Pas secret du tout puisque publié en français sous le titre « LE RAPPORT DE LA CIA. COMMENT SERA LE MONDE EN 2020 ? » Tout cela n’a donc rien de confidentiel ou de secret. Il y a même une édition de poche en langue française qui est préfacée par le journaliste sioniste Alexandre ADLER, où il décrit ce qui se passe au Moyen-Orient et qui est annoncé dans ce rapport de la CIA.
La technique c’est quoi ? Le procédé général c’est d’organiser des troubles dans les états, de déstabiliser le système que l’on veut renverser. C’est ce que les gauchistes n’ont pas compris ! Peu importe que ces états soient antiaméricains comme la Libye ou pro-américains comme la Tunisie ou l’Égypte. Au sein de ces états, les Américains veulent voir émerger d’une part des militaires pro-américains. Ceux qui sont déjà au pouvoir en Tunisie et en Égypte, et ceux qu’ils essayent d’amener au pouvoir en Libye. Et face à eux, les Américains souhaitent organiser la montée de partis islamistes, autour des Frères Musulmans qui sont de vieux alliés. Ce sont des alliés de 40 ans des Américains. Le pouvoir sera alors partagé entre des partis islamistes comme les Frères Musulmans, qui vont dominer les parlements. Mais qui pour rester au pouvoir vont devoir composer avec l’armée, qui, elle, va continuer à contrôler la vie publique, les forces militaires et l’économie.
C’est un plan particulièrement vicieux. Pour tous ceux qui ont des illusions sur le soi-disant « printemps arabe » (sic), sur la spontanéité des peuples, sur la « révolution de la jeunesse » (resic), il faut savoir regarder ce qui s’est passé en huit mois en Égypte ou en Tunisie. En Égypte, c’est toujours un maréchal qui a remplacé le général Moubarak. C’est l’armée qui contrôle et les islamistes qui s’apprêtent à gagner les élections en accord avec les militaires. Ce qui se passe en Tunisie c’est la même chose. Ce sont toujours en fait les militaires qui étaient derrière le régime du général Ben Ali et ceux qui s’apprêtent à gagner les élections, c’est la version tunisienne des Frères Musulmans, le parti Ennahda. C’est encore le même scénario que les Américains essayent d’imposer en Syrie. Toujours avec les Frères Musulmans.
 
4. Fabrice BEAUR : Il y a des élections législatives en Russie le 4 décembre, on annonce précisément sur les Réseaux sociaux une « révolution de couleur » au même moment. Sur un mode opératoire similaire à ce qui se fait au Proche-Orient depuis la fin 2010.
Qu’en penses-tu ?
 
Luc MICHEL : Je dois dire que c’est mon analyse depuis longtemps. J’ai toujours dit que l’Europe serait un jour avec la Russie une des cibles du mouvement et je l’ai dit particulièrement lorsque Medvedev a trahi son allié libyen à l’ONU. Et ensuite au mois de juin encore, lorsqu’il a reconnu le soi-disant « Conseil National de Transition » libyen.
L’actualité confirme mon analyse. Parce que il s’agit pas seulement d’annoncer une « révolution de couleur », des événements insurrectionnels en Russie à l’occasion des législatives. Il s’agit de quelque chose qui va beaucoup plus loin parce qu’il y a une volonté d’organiser une insurrection armée, comme en Libye !
Il y a quelques jours, le sénateur américain McCain se trouvait à Tripoli. Il faut tout d’abord savoir qui est McCain. La plupart des gens en Europe le présentent comme un « sénateur américain » ou un « ancien candidat » à la présidence. Ce qu’il est effectivement ! Mais McCAIN a tout à fait une autre casquette. C’est en fait un des hommes qui contrôlent justement ce groupe d’O.N.G. dont nous avons parlé tout à l’heure, pro-américaines, qui dépendent des organismes d’État US. c’est ce financement notamment qui fait vivre les associations ou les O.N.G. dépendant de McCAIN et de la CIA. Directement, il faut voir leurs budgets ! C’est McCAIN qui les contrôle donc. McCAIN est allé à Tripoli je dirais recevoir le rapport de ses subordonnés.
Et de là-bas il a lancé un appel. Cet appel n’est pas pour une « révolution de couleur ». Il a appelé à une insurrection armée en Russie ! Qu’a dit McCAIN ? Simplement que ce qui s’est passé en Libye est un « exemple » et qu’il espère que « les Russes vont saisir l’occasion pour faire à Moscou ce que les Libyen ont fait » On est donc maintenant dans un processus qui n’est pas seulement celui du « révolution de couleur », mais qui est celui d’un appel à la guerre civile.
Pourquoi cette escalade ? Pour diverses raisons. Mais d’un point de vue américain – je veux dire par là que les Européens et en particulier les Français participent à la même opération mais ont un autre agenda et d’autres buts que ceux des Américains – c’est que l’Amérique est en crise économique profonde. C’est maintenant une puissance économique de deuxième plan. Ils n’ont plus les moyens d’assurer la domination du Monde. Donc les Américains maintenant sont pressés, le temps joue contre eux, et ils souhaitent organiser rapidement la déstabilisation de l’Eurasie et du Proche-Orient.
Les Américains aussi savent que leur procédé des « révolutions de couleur » en Europe de l’Est, en Europe orientale, est très bien connu des régimes qui en sont les cibles. Et qu’ils ont organisé des contre-feux. Leurs dirigeants possèdent les mêmes grilles d’analyse que moi.
Je donnais un congrès avec le MEDD-MCR, le « VIe congrès européen du MEDD » à Zawiah, près de Tripoli, en Libye, les 5 et 7 février 2011. Et j’ai à la tribune, et ensuite dans plusieurs interviews attiré l’attention des frères libyens sur tout ceci. Et je dois vous dire honnêtement que j’ai été accueilli avec des sourires polis. Certains se sont dit que je devenais fou. « Qu’est-ce qu’il lui prend ? » Parce que les Libyens n’avaient aucune des clés d’analyse, ni la connaissance pour comprendre ce qui se passait.
En Europe de l’Est, ce n’était pas le cas !
Le premier qui a mis un coup d’arrêt aux « révolutions de couleur », c’est le président Lukashenko, à plusieurs reprises, à partir de 2001. Comment a-t-il fait ? Il l’a fait très simplement c’est-à-dire en tenant la rue par un mouvement de jeunesse, qui est l’Union de la Jeunesse Républicaine du Belarus. C’est un mouvement qui n’est pas très loin des thèses du PCN, par ailleurs, notamment parce qu’ils prônent le développement d’une « civilisation eurasienne » dans un État fort et socialiste. Il a également utilisé des moyens de propagande, des médias de contre-propagande, par rapport à ce que font contre lui les Américains et les Européens. Et ceux qui ont suivi son exemple, c’est évidemment le régime de Poutine. L’idée d’une « révolution de couleur » en Russie remonte à plusieurs années. Les Américains organisaient un mouvement d’opposition tout à fait artificiel, mais qui dispose de grands moyens financiers. Nous reviendrons là-dessus si nous en avons le temps. Ce mouvement séditieux a tenté à plusieurs reprises des émeutes, des insurrections, des occupations de bâtiments officiels. La réponse de Poutine a été de s’inspirer de Lukashenko et de créer un grand mouvement de jeunesse antifasciste démocratique, capable de tenir la rue. C’est le mouvement NASHI « les nôtres », qui sont par ailleurs des amis du PCN.
Les Américains, connaissant cela et sachant donc qu’une « révolution de couleur » simplement au départ d’activistes en insurrection ne marche pas ou plus, songent évidemment à plonger les pays qu’ils attaquent dans la guerre civile.
 
5. Fabrice BEAUR : La soi-disant « opposition russe » est un conglomérat hétéroclite qui regroupe libéraux comme Kasparov et Kassianov, trotskystes, néofascistes comme Limonov…
Comment expliques-tu ceci ? Qu’est-ce qui réunit tous ces traîtres ? L’argent versé par l’Occident est-il un facteur déterminant ?
 
Luc MICHEL : Il y a entre ces gens trois liens puissants. Le premier lien c’est le ressentiment. Le ressentiment parce que ces gens sont des ratés de la politique. Ils savent que les Russes ne les suivront pas. Vous devez savoir que la politique nationale que fait Poutine, et qui est soutenue d’ailleurs par une opposition véritable, qui est celle de nos camarades du Parti Communiste de la Fédération de Russie de Ziouganov, le KPRF. Ziouganov n’est pas d’accord économiquement avec Poutine, mais il est d’accord avec les grands axes du redressement patriotique et eurasien de la Russie. Car c’est son programme ! Comment Poutine a-t-il défini ses grands axes ? En reprenant purement et simplement le programme du KPRF, qui s’inspire des thèses de Jean THIRIART adoptées par les Nationaux-patriotes russes en 1992.
La deuxième chose qui unit tous ces gens, c’est une volonté de revanche, une volonté de puissance négative, nihiliste. C’est-à-dire que ces ratés de la politique voudraient cependant dominer la Russie. Ou la détruire !
La troisième chose qui les unit, elle est claire et nette, c’est l’argent ! C’est-à-dire que – et je vais être honnête dans ma réponse – dans le cas de KASPAROV ou KASSIANOV  c’est de l’argent à titre personnel. Dans le cas de LIMONOV, sur lequel je vais m’étendre plus longuement, ce n’est pas pour mettre cet argent dans sa poche, mais cet argent est là pour financer son mouvement et ses entreprises culturelles.
Evidemment cette coalition qu’on appelle « l’autre Russie » (sic) est un attelage hétéroclite, pour employer le bon terme français. Il y a tout d’abord dedans des libéraux purs et durs. Kasparov, Kassianov qui est un ancien ministre, d’autres encore issus des rangs libéraux de l’ère Eltsine.  Ces gens évidemment rêvent d’une Russie qui soit une grande « Amérique », intégrée au Système mondial. Le deuxième élément ce sont des éléments d’une certaine extrême-gauche trotskiste ultra minoritaire. Le troisième élément c’est effectivement le mouvement de Limonov. Limonov, et il faut dire les choses clairement, a appelé son mouvement « national-bolchevique ». Vous savez que la version moderne du National- bolchevisme a été créée par le PCN au début des années 80. A cette époque LIMONOV était un dissident antisoviétique, qui va longuement vivre aux Etats-Unis, dans la prostitution comme le révèlent ses romans. Il faut lire la biographie que vient de lui consacrer le fils de Hélène Carrère d’Encausse, Emmanuel Carrère. Le mouvement de Limonov c’est un mouvement qui n’est ni «national» ni  «bolchevique». C’est un mouvement de type purement néofasciste, dont le mode d’action est l’activisme violent et dont la base n’est pas une base sociale, mais une masse qui regroupe en fait les milieux les plus marginaux culturellement. Le mouvement de LIMONOV,  ce n’est pas un mouvement politique mais un mouvement de jeunes qui a le culte de la violence pour la violence. Ce qui était d’ailleurs une des caractéristiques du Fascisme mussolinien. Comment LIMONOV développe-t-il tout cela ? Il développe tout cela dans une politique permanente de confrontation avec les autorités. Et c’est là que je vais employer un terme fort, c’est là qu’il se révèle particulièrement ,dans le sens très dur que le Français donne à « crapule ». Pourquoi ? Parce qu’il engage à longueur d’année des centaines et des centaines de jeunes gens, qui sacrifient leur vie, qui sont exclus des universités, qui font des peines de prison. Tout cela pour satisfaire une carrière littéraire personnelle et un ego personnel d’artiste raté.
Vous devez  savoir que nous sommes intervenus à une reprise au moins pour aider une jeune militante « nationale-bolchevique ». C’est Alina LEBEDEVA, une jeune militante russe de Riga en Lettonie. Qui avait été poussée par LIMONOV à faire un acte public lors d’une visite du prince Charles (d’Angleterre) à Riga. Je vous parle ici des années 2001. Elle avait giflé le prince avec une rose rouge et la Lettonie, qui est un État dont les organes répressifs sont de type quasi fasciste, s’apprêtait à la condamner à cinq ans de prison ! Limonov n’a rien fait pour l’aider, parce que son but c’est justement cela, pour satisfaire la publicité de son mouvement. Cette publicité passe par une répression médiatisée. Cela suscite chez moi le dégoût, parce que je pense qu’on ne joue pas avec la vie de jeunes gens. Donc ça l’arrangeait que cette fille prenne 5 ans. Le PCN a fait une grande campagne. C’était les débuts d’Internet. Nous avons contacté notamment tous les parlementaires lettons et européens, tous les journalistes, nous avons fait faxer et téléphoner au gouvernement letton. Et finalement elle a eu un mois de prison avec sursis. Et je vous dis franchement que c’est un des actes dont je suis le plus content dans ma carrière politique !
Donc cette coalition « l’autre Russie », c’est le fer de lance de la déstabilisation, ce sont des gens qui sont prêts à détruire leur pays, à le livrer aux Américains, simplement pour renverser un régime. Il n’y a pas d’idéologie là dedans !
Et dans le cas de LIMONOV, expliquez-moi comment soi-disant ce mouvement pouvait être « pour l’Eurasie ». Ce mouvement qui s’affirmait pour la « grandeur stalinienne »… Expliquez-moi comment il peut être dans une coalition financée directement par l’argent de la CIA, par les Américains, et dont le but final est le démembrement de la Russie. Parce que vous devez savoir que le projet américain de destruction de la Russie, c’est un projet qui était en 1940 celui des nazis. C’est le projet de Brzezinski, c’est le projet de Madeleine Albright. C’est de diviser la Russie en trois états un État moscovite, un État sibérien et un État caucasien. Et c’est-à-dire que la Russie ne deviendrait même pas une puissance régionale. Elle ne serait plus rien !
Voilà les gens que les États-Unis utilisent pour déstabiliser la Russie, voilà les gens que l’on va mettre en action d’ici quelques semaines au mois de décembre en Russie. Et nous espérons que nos camarades de NASHI évidemment feront leur devoir patriotique avec fermeté.
 
6. Fabrice BEAUR : Le PCN est actif dans de nombreux pays européens, tant à l’Est qu’à l’Ouest, ainsi qu’en Afrique. Tu as particulièrement combattu les « révolutions de couleurs », soutenant la Yougoslavie de Milosevic dès 1996. Puis des pays directement agressés comme le Belarus, la Transdniestrie, l’Abkhazie, l’Ossétie du Sud, la Libye ou encore la Côte d’Ivoire.
Le PCN ressemble en fait à un « anti-OTPOR », le bras armé des « révolutions de couleurs ». Cette analyse, que font plusieurs observateurs, te semble-t-elle exacte ?
 
Luc MICHEL : Cette analyse que font plusieurs observateurs de notre action est peut-être un peu caricaturale, mais réelle, et n’est pas éloignée de la vérité. En fait je pense que pour les gens qui vont nous écouter, il faut donner plus de précisions. Donc il y a des études récentes, parce qu’on étudie beaucoup le PCN en ce moment. Parmi nos adversaires, il y a un militant politique qui joue au «chercheur» dans une Université du sud de la France, et qui explique que « le PCN est une internationale en lui-même ». Il a raison bien entendu. La façon dont nous travaillons, la manière dont nous nous sommes organisés, la façon dont nos cadres peuvent militer, parfois très loin de leur pays d’origine ou même militer sur plusieurs pays, tout ça rappelle ce qu’était le KOMINTERN dans les années 20-30.
La comparaison est aussi développée par Kornel SAWINSKI, doctorant de l’Université de Cracovie, en Pologne. C’est un chercheur sérieux, contrairement au plumitif français, qui travaille beaucoup pour le moment sur une thèse de doctorat sur Jean THIRIART et le PCN, sur nos idées. Et à l’occasion donc de ses recherches, il a été frappé évidemment par le fait que non seulement nous intervenions dans beaucoup de pays où nous sommes actifs, mais que nous jouions un peu évidemment le rôle d’un « anti-OTPOR ». Pas tant que nous le voudrions, parce que nous n’avons pas évidemment été financés ni par la CIA ni par aucun état d’ailleurs, parce que ça nous intéresse pas. Nous faisons pas de la politique pour l’argent, nous avons donc des moyens limités. Mais dans la mesure où nous agissons dans un certain nombre de pays, effectivement nous sommes à la fois un mouvement qui forme des gens, nous sommes un mouvement activiste, nous sommes extrêmement présents sur les réseaux sociaux.
Et je vais dire qu’au niveau des réseaux sociaux, parce que cela demande moins de moyens, nous faisons souvent jeu égal avec nos adversaires. Vous savez que nous sommes intervenus dans toute l’Europe et en Afrique pour soutenir la Jamahiriya libyenne agressée avec les comités ELAC/Euro-Libyan Action Committees et l’association-sœur africaine que nous avons ensuite créée, lorsque Tripoli me l’a demandé après la grande Conférence d’avril 2011 de soutien à la Jamahiriya, à Tripoli. Donc nous avons créé une association-sœur qui est ALAC/African-Libyan Action Committees, avec des camarades africains. Nous avons donc développé une très grande action sur les réseaux sociaux. Il faut savoir que les réseaux sociaux sont un des enjeux, un des terrains d’action principaux. Précisément parce que notre mouvement est coordonné via les réseaux sociaux. Mais aussi parce que, notamment, les agents de l’Occident les utilisent pour lancer une « révolution de couleur » en Russie pour les prochaines législatives. C’est sur Internet en Libye que démarra le coup d’état du 15 février 2011. Sur Internet encore en Egypte, en Tunisie, en Algérie etc. Sur les réseaux sociaux nous faisons donc souvent jeu égal. Ce n’est pas nous qui le disons, ce sont nos adversaires. Au mois de juillet 2011, il y a eu une grande campagne contre les Comités ELAC et contre moi personnellement, faite par e-mails et sur tous les réseaux sociaux. Et ils expliquaient « qu’en Europe et particulièrement dans l’Espace francophone » (Belgique, France, Canada, etc.) ce qu’ils appelaient « les pages de soutien aux dictateurs » (sic) « regroupaient plus de gens que ceux qui les attaquaient ».
Donc je pense que cette comparaison était audacieuse mais pas inexacte. Elle correspond aussi à notre projet. C’est-à-dire que pour nous la politique est quelque chose de concret. Nous sommes des gens qui aimons l’idéologie, la doctrine politique, la géopolitique. Mais ça c’est la théorie. Vous savez que je cite souvent cette citation de Goethe parce qu’elle me plaît. C’est celle qui disait que « la théorie est grise mais que l’arbre de la vie est vert ». Je pense que l’idéologie doit être mise en action. Qu’est-ce que c’est notre Communautarisme européen ? Qu’est-ce que c’est le PCN ? C’est une praxis, c’est-à-dire c’est une vision du monde, une idéologie mise en action. Donc il faut faire des choses concrètes.
La différence entre le PCN et d’autres organisations, ce qui nous différencie de la plupart des mouvements dits « extrémistes » ou « radicaux », c’est que ce sont des mouvements qui sont dans l’inaction. Ils sont dans un théâtre politique, ne font pas d’action sur le concret, rien du tout. Le PCN depuis qu’il existe mène des campagnes concrètes, agit avec des états, notamment la Libye qui en est un très bon exemple. Le PCN participe à des combats et s’engage dans des choses concrètes avec des succès réels ! C’est l’une de nos caractéristiques et c’est ce qui fait par ailleurs que beaucoup de militants nous rejoignent parce qu’ils ne veulent plus vivre dans un ghetto politique.
 
7. Fabrice BEAUR : Nashi aussi est un bel exemple de réponse militante à l’interventionnisme occidental. Que penses-tu de Nashi, de son développement, de sa présentation actuelle ?
 
Luc MICHEL : NASHI c’est le grand mouvement de jeunesse qui soutient Poutine. Comme nous l’avons déjà dit, ce mouvement s’inspire des anciens KOMSOMOLS, les jeunesses communistes, dont ils ont repris notamment la couleur rouge comme emblème. NASHI est un mouvement qui tourne très bien et c’est un mouvement qui a le soutien de l’État russe. Le chef de NASHI Vasily YUKAMENKO est ministre d’État en charge de la jeunesse depuis quelques années. Nous l’avons rencontré à Seliger en 2007. Et donc NASHI est surtout ce que pourrait être le PCN s’il avait les moyens financiers de ses ambitions. C’est un grand mouvement, qui a fait beaucoup de travail, qui entretient un grand sentiment patriotique dans la jeunesse russe.
Nous avons vécu de l’intérieur son travail. C’est un privilège et une belle aventure humaine. Nous avons participé en juillet 2007 au camp d’été de NASHI « Seliger », sur le lac Seliger, près de la ville de Tver à 400 km de Moscou. C’est un grand camp de jeunesse sous la tente, qui regroupe entre 10.000 et 20.000 jeunes venus de tout l’ancien Espace soviétique. Ils viennent là-bas faire du sport, suivre des conférences idéologiques, voir leur force regroupée. Les meilleurs du camp ont le privilège de rencontrer Poutine lui-même. En 2007 nous avons eu l’honneur de participer comme formateurs à ce camp. Nous avons envoyé une délégation de cadres wallons, français et moldaves à ce camp, où nous avons donné des conférences. Notamment par moi sur la géopolitique de la « Grande-Europe ». Nous y avons vu une jeunesse extrêmement saine, nous y avons vu des gens intéressants, pas du tout cette jeunesse fatiguée d’Occident, qui sombre dans la drogue et dans l’alcool. A propos d’alcool, vous devez savoir que dans ce camp l’alcool est banni, dans un pays comme la Russie où l’alcoolisme est un grand problème. Ils ont pris à bras-le-corps ce problème.
Donc je considère NASHI comme un mouvement-frère ! Ca ne s’arrête pas là évidemment. Au-delà de ça, il y a une mouvance en Europe de mouvements de jeunesse qui s’inscrivent dans le même prolongement. Il y a NASHI en Russie, il y a nos camarades de PRORIV (Прорыв) en PMR (« Breakthrough »  en anglais, ça veut dire briser le mouvement et c’est très difficile à traduire en français). PRORIV c’est un genre de NASHI beaucoup plus idéologique d’ailleurs, beaucoup plus politisé, placé sous le patronage du Che Guevara. Ils ont une école de cadres du même nom à Tiraspol, en République Moldave de Transdniestrie, qui a aussi pour emblème Che Guevara. C’est l’ « Ecole Che Guevara pour le haut cadre politique ». On revient avec PRORIV par ailleurs à la réaction aux « révolutions de couleur », puisque PRORIV a été créé pour empêcher un coup d’état rampant pro-occidental en République Moldave de Transdniestrie,  pour empêcher justement une révolution de couleur là- bas. D’autres mouvements existent évidemment encore. Notamment l’Union de la Jeunesse Républicaine du Belarus, pro-Lukashenko.
Et s’inscrit aussi dans cette mouvance un peu partout et pas seulement en Europe de l’Ouest, le PCN-J, le « PCN jeunesse », notre organisation de jeunesse. Pourquoi je dis un peu partout ? Parce que nous sommes en train de réorganiser profondément le mouvement. A la branche du PCN-J actuelle, qui existe principalement dans l’Espace francophone, va s’ajouter dans quelques semaines une branche turque, une branche pour l’Europe centrale et les Balkans, et un bureau de liaison en Russie. Là il n’est pas question d’aller doubler NASHI, par exemple, ce qui ne serait pas productif. Nous souhaitons de plus en plus travailler avec eux aussi sur le plan pratique.
Parce que, j’insiste là-dessus, le PCN ce ne sont pas des rêveurs, ce ne sont pas des gens qui jouent aux « journalistes indépendants ». Ce sont des militants qui agissent politiquement. Nous faisons de la politique, nous ne faisons pas du journalisme. Nous menons des actions concrètes comme en Libye. Il y a déjà eu des actions de cadres du PCN qui ont encadré les actions de jeunes de NASHI à Strasbourg et à Bruxelles, sur la question du fascisme et des droits des minorités russes en Estonie, dans les pays baltes. Nous avons fait campagne avec NASHI dans les pays baltes. Là on les a précédé de presque 10 ans, puisque la première grande campagne européenne qui a été faite pour défendre les droits des Russes des pays baltes, c’est-à-dire des gens qui sont des citoyens de seconde zone sans droits civils et politiques depuis le démembrement de l’Union soviétique, a été faite par le PCN dès 1998.
Tout simplement parce que je connaissais ces pays, Je me suis marié en 1998 à Riga avec une Russe et donc je vivais le problème directement. C’est aussi le cas personnel de notre camarade Fabrice lui-même, puisque lui vit maintenant en Russie où il a épousé une cadre dirigeante de NASHI, rencontrée à Seliger en 2007.
 
8. Fabrice BEAUR : Tu as théorisé dès le milieu des années 80, avec Jean Thiriart et votre école « Euro-Soviétique de Géopolitique » une vision eurasienne de la Grande-Europe. En 2006, tu as théorisé le concept des « deux Europe ».
Ma question sera double : Peux-tu résumer brièvement ces concepts géopolitiques ? Et considères-tu que nos idées ont gagné du terrain et que les thèses eurasistes de Vladimir Poutine s’inscrivent dans la même vision ? En effet Poutine vient de prendre publiquement position pour l’intégration renforcée de l’Eurasie. Partages-tu sa vision géopolitique ?
 
Luc MICHEL : C’est une vaste question. Mais je vais la résumer rapidement. Tout d’abord au départ des concepts. Qu’est-ce que c’était l’ « Ecole euro-soviétique de Géopolitique » ? Le nom défini le contenu, c’est-à-dire que nous prônions à l’époque, en 1983-1990, une Grande-Europe de Vladivostok à Reykjavik. Nous pensions, nous pensons toujours, que le « Piémont » de la Grande-Europe ce sera la Russie ou l’Union soviétique à l’époque. C’est une Grande-Europe de type eurasiatique, puisqu’elle comprend le Caucase et dans notre vision très large de l’Eurasie les deux rives de la Méditerranée. Lorsque l’Union soviétique s’est effondrée, nous avons transformé ce concept en prenant dans la réalité de ce qui existait encore, c’est-à-dire la Fédération de Russie, qui est encore une grande partie de l’Union soviétique. Comment nous voyons cela ? Nous voyons une union progressive de l’Union Européenne, de la Communauté économique européenne, et de l’ancienne – j’insiste bien de l’ancienne – Union soviétique, parce que ça ne concerne pas seulement la Russie mais ça concerne aussi toutes les républiques qui en sont issues, y compris dans le Caucase.
La clé de ce concept, c’est donc de comprendre que l’Union Européenne ce n’est pas uniquement ou seulement l’Europe. Je vous parle ici de comment nous l’exprimions entre 1983 et en 2000. Non seulement ce n’est pas toute l’Europe mais que ce n’est pas une Europe qui peut prétendre légitimement représenter l’Europe. Tout simplement parce qu’elle a accepté, et c’est la trahison interne de l’Union Européenne, de se placer sous la sujétion des États-Unis, sujétion qui est assurée par l’OTAN. L’OTAN, comme le disait Jean THIRIART, « ce n’est pas le bouclier de l’Europe, c’est son harnais », un harnais comme pour tenir un chien ou un cheval.
Lorsque la Russie a commencé à se redresser avec Vladimir Poutine, le redressement de la Russie s’est fait au moment où précisément l’UE elle s’effondrait. Pourquoi l’Union Européenne s’effondre-t-elle face à la crise économique ? Elle s’effondre parce qu’elle a une contradiction interne, qui est ici aussi à nouveau la sujétion aux États-Unis. C’est-à-dire que l’Union Européenne, c’est un géant économique et c’est le principal ennemi économique des États-Unis. Il y a une guerre économique Europe-USA. Mais parallèlement à cela, l’OTAN fait de l’UE la première des colonies américaines. Et les pays européens fournissent aux États-Unis via l’OTAN les moyens de sa puissance militaire. Nous en avons l’exemple encore avec la Libye. Les États-Unis n’ont pas les moyens actuellement, dans une crise économique, d’organiser l’attaque de la Libye et l’ont donc fait par les pays de l’OTAN.
Lorsque la Russie a commencé à se redresser, cela s’est fait aussi avec une vision idéologique de l’Eurasie, qui est la nôtre, qui a commencé à se développer au sein de l’élite politique et militaire.
Je voudrais faire une parenthèse pour signaler que la première manifestation moderne des thèses eurasistes ont été faites par le PCN en 1986. Nous avons dans la revue CONSCIENCE EUROPEENNE pour la première fois parlé des Eurasistes russes, des Nationaux-bolcheviks russes d’Oustrialov. Nous avons développé ces concepts à une époque, et je vais parler directement parce que nous ne pratiquons pas la langue de bois, où certains, comme Douguine, qui ont ensuite édifié une version russe de l’Eurasisme, qui est différente pour beaucoup de la nôtre, ceux-là fréquentaient les milieux d’extrême droite classique. Ils étaient liés au mouvement PAMIAT et ils ne pratiquaient absolument pas ces thèses.
Lorsque POUTINE est intervenu, les thèses eurasistes se sont développées, elles sont arrivées au sein du système de POUTINE. Pas seulement d’ailleurs via Douguine, comme l’écrivent des spécialistes comme Marlène LARUELLE, mais par un canal qui est un peu différent. C’est-à-dire qu’au début des années 90, le Parti Communiste de la Fédération de Russie de Guenady ZIOUGANOV a adopté les thèses eurasistes et grand-européennes et il les a adoptées tout simplement suite au voyage de Jean THIRIART à Moscou en août 1992, quelques semaines avant sa mort. Dans la préface de l’édition italienne du livre de ZIOUGANOV « STATO E POTENZA », on rend hommage à THIRIART. Ces idées se sont développées aussi dans un autre secteur de la politique, via toujours le parti de ZIOUGANOV, c’est le parti de JIRINOVSKI.
DOUGUINE joue un rôle utile, parce qu’il faut être honnête, c’est un grand intellectuel polyglotte. Nous sommes pas d’accord avec lui en dehors de la géopolitique, mais nous sommes d’accord sur la géopolitique. Son mouvement a soutenu notre action d’aide à la Jamahiriya libyenne et je pense que c’est un geste qu’il faut saluer ! Et DOUGUINE a fait aussi pénétrer ces idées dans les milieux militaires, dans les académies militaires, etc.
Le résultat, maintenant j’en reviens à votre question en plus général, c’est qu’au milieu de cette décennie nous étions devant une situation donc d’une Russie qui se redressait et parallèlement d’une Union Européenne qui s’effondrait. Nous sommes de ceux pour qui l’échec de l’Union Européenne a toujours été pris en compte, déjà au début des années 60. Comment voyions-nous le processus européen ? Nous voyions soit un processus positif harmonieux, c’est-à-dire que l’Europe, la Communauté européenne (qui est le sens de notre « Communautarisme européen » et pas celui qu’on donne à ce terme aux USA), l’Union Européenne serait passée au stade d’un État fédéraliste puis d’un État supranational. Les bases de cet Etat, c’était la monnaie unique ce qui a été fait, mais c’était aussi une diplomatie et une armée indépendantes, un gouvernement indépendant. Et ça, soyons clairs, ils ne le feront jamais à cause de l’OTAN ! A cause de cela, l’Union Européenne c’est un échec programmé.
J’ai été frappé en 2005-2006 par les prises de position de Vladimir POUTINE, mais aussi par certains des idéologues du régime, comme SOURKOV, par exemple. Qu’elle était cette position ? C’est que de plus en plus la Russie visait à créer une autre Europe. Ce que j’ai, moi, théorisé sous le nom des « deux Europe ». Il s’agissait de reconstituer au départ des pays de l’ancienne Union soviétique une série d’unions. Il y a notamment l’Union Economique Eurasiatique, c’est de ça que POUTINE vient de parler en la renforçant, c’est une espèce de Communauté économique européenne. C’est comme ça que l’Union Européenne a démarré, mais il y a également une Union politique et une Union douanière entre le Belarus et le Kazakhstan. Il y a aussi une union militaire qui est l’OTSC,  l’Organisation du Traité de Sécurité Collective, qu’on appelle aussi le « groupe de Shanghai ». Et là, c’est clairement une anti-OTAN, c’est-à-dire que c’est un groupe qui vise à s’opposer à l’OTAN. En outre, en terme de puissance militaire, il faut savoir que ce « Groupe de Shanghai » militairement parlant a des moyens supérieurs à ceux des États-Unis et de l’OTAN.
Et ceux qui font des rêves sur « un XXIe siècle américain » se font beaucoup d’illusions. Parce que dans le « Groupe de Shanghai » il n’y a pas seulement la Russie mais aussi la Chine. Les Américains ont perdu la guerre en Irak, ils l’ont perdue en Afghanistan. Et la toute petite Jamahiriya libyenne, avec ses 6 millions d’habitants, elle résiste vigoureusement. Et je vous dis que c’est pas fini ! Dans toute la Libye, des villes résistent maintenant depuis six mois à toutes les puissances occidentales, y compris ces grandes puissances militaires que sont les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne.
Dès lors qu’elle concerne les deux Europe, c’est assez simple de dire qu’une « seconde Europe » existe. Et nous pensons, nous, que c’est cette Europe-là qui incarne la légitimité. Parce que cette seconde Europe est indépendante. Il n’y a aucune légitimité en Europe de l’Ouest avec l’Union Européenne. Parce que c’est quoi l’Union Européenne ? Ce sont les Kollabos des Américains, exactement comme la France de Pétain face au IIIe Reich n’avait aucune indépendance. Cette « seconde Europe » va aller en se développant de plus en plus, elle couvre une immense surface territoriale, quasiment l’ex Union soviétique moins les Pays baltes et la Moldavie. Il y a là d’immenses réserves matérielles. Et dont elle est appelée à se développer. Elle est appelée aussi à être un contre-modèle au fur et à mesure que s’affirmera l’échec de l’Union Européenne.
J’ajouterai que cette thèse des « deux Europe », c’est un concept qui remonte encore plus loin. Au milieu des années 30, certains théoriciens politiques, en France et en Belgique notamment, ont à l’époque eux aussi parlé de « deux Europe ». Ils parlaient alors peu de la Russie, mais de l’Europe occidentale et de l’Europe centrale, Hongrie, Roumanie et Pologne etc. Qu’ils voulaient réunir déjà à l’époque dans une Europe unie. L’idée pan-européenne n’est pas nouvelle, c’est alors que le jeune Jean THIRIART – il est né en 1922 – fait l’acquisition de sa conscience européenne. Alors comme aujourd’hui, ces « deux Europe » sont économiquement complémentaires. Et le but évidemment c’est que de ces deux Europe on passe à une Europe et à un État supranational.
J’ajouterai deux choses directes. Et on en revient à la praxis politique. C’est-à-dire que nous considérons que le PCN et notre idéologie, le Communautarisme européen, ont un rôle central à jouer, en étant une réserve d’idées et un Think-Tank comme disent les Américains, en fournissant des concepts. Vous devez savoir que la seconde Europe eurasiatique c’est en grande partie beaucoup de nos concepts. Ceux qui refusent de le voir et de le constater sont malhonnêtes et veulent nous nuire.
Nous pensons qu’il y a la place dans ce processus pour un mouvement activiste, et pas seulement dans la défense des pays de la seconde Europe : la Russie, le Belarus, les Etats de ce qu’ on appelle, la « CEI-Bis », c’est-à-dire la Transdniestrie, l’Abkhazie, l’Ossétie du Sud. Nous nous sommes engagés sur le terrain, nous avons participé directement en 2006-2008 lorsque ces républiques ont mené le combat capital pour l’existence de leurs états, nous sommes allés sur place, nous les avons aidé. Nous avons apporté logistiques, une aide médiatique. Nous avons participé à l’organisation notamment de leurs référendums d’indépendance.
Et nous nous sommes bien entendu décidés à continuer en apportant au service de l’idée de la Grande- Europe un mouvement à la fois idéologique et activiste, transnational, unitaire, organisé. C’est la définition même du PCN !
 

Fabrice BEAUR, pour PCN-TV, Moscou. 

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